Discuter avec la tentation, c'est être sur le point d'y céder - Antonia

"Discuter avec la tentation, c'est être sur le point d'y céder."
Miguel De Unamuno

Jeudi 5 Octobre - 21h00

Quatrième jour à Rome. Après avoir dîné à la pension en compagnie de mes charmants hôtes, je suis sorti me promener en ville pour profiter de la douceur du soir et de la Dolce Vita. Il fait une vingtaine de degrés et un simple pull suffit à être bien - comprenez que j'arrive de Berlin où on se caillait grave et qu'il était impossible de sortir sans veste de pluie. Alors vingt-cinq degré la journée et un beau soleil, je le prends comme une bénédiction divine et je ne suis pas du genre à bouder les petits plaisirs de l vie. Mes pas me portent au hasard, je longe le Tibre un instant. La ville est animée, même en cette période peu touristique. Je souris de voir un troupeau de nonnes en uniformes gris se hâter toutes ensemble avec enthousiasme. Sans doute une messe quelque part à laquelle elles vont assister ou une conférence dont le thème les émoustille. Il n'y a qu'ici que l'on voit cela.

Je fume une cigarette le temps de ma balade, j'ai ce vice qui heureusement n'est pas prohibé par la Règle . Rien à voir avec le fait que la cigarette n'existait pas au temps des saintes écritures, ni de l'époque de Saint Augustin. Notre Ordre prône Pauvreté, Obéissance et Chasteté. Les grand piliers classiques des ordres monacals. Je les mets exactement dans cet ordre là, du plus facile au plus difficile à observer pour moi. Il n'y a rien sur l'alcool ou les cigarettes, ô joie, merci Mon Dieu.

J'entre dans un bar animé, au hasard et je me fonds dans la masse autant que je peux parce qu'avec ma haute taille, je dépasse de la foule. Je commande une bière, par habitude alors que les italiens carburent au vin et je me dégote une place sur la terrasse bondée, debout, près d'une balustrade donnant en surplomb sur un joli jardin. Je m'y appuie en humant l'air chargé de senteurs florales.  Au moment où je tourne la tête, je me fige sur une silhouette qui ne m'est que trop reconnaissable. Le rouge le monte au cou. Qu'avait-on dit à propos de la Chasteté ? Même en pensée, tu ne fauteras point. Je crois que c'est totalement raté pour ce soir par ce que la vue de la jeune femme aux sublimes courbes ne m'évoque que trop de souvenirs impurs. Et pourtant, être faible que je suis, je la hèle. "—Antonia ?" Que Diable (oui le Diable vraiment) fait-elle donc ici quand la dernière fois que je l'ai vu, il y a un peu plus d'un an, c'était à Syracuse.

Elle se fige en entendant son prénom et se tourne dans ma direction. Un instant, je me dis qu'elle ne va pas me reconnaître, ou ne pas vouloir me reconnaître, peu importe, mais je vois ses lèvres former mon prénom. Un sourire naît sur mes lèvres. Elle change de cap et louvoie vers moi, sa bière à la main, esquivant avec aisance les silhouettes plus massives qu'elle qui nous séparent encore. J'ai tout le temps de la regarder tandis qu'elle approche. Elle n'a pas tellement changé, avec son look d'éternelle adolescente, jeans et tee-shirt d'un groupe qui existait bien avant sa naissance (et la mienne c'est dire si ça date !) et mon regard glisse sur ses courbes divines - Dieu n'a-t-il pas créé la femme ? Aheum - avec ce délicieux sentiment de culpabilité qui me noue les tripes. C'est mal David.

Je n'étais pas en vacances quand je l'ai rencontrée à Syracuse mais j'avais menti, ajoutant le péché de mensonge à celui de la luxure et des vœux brisés. C'est à dire que se déclarer de l'Ordre teutonique, s'affichant par là comme moine-soldat n'était pas exactement le meilleur moyen de séduire, et oui, j'ai beau m'en défendre et me tromper moi-même, il est très probable que dès que je l'ai vue, j'ai eu cette tentation et ce désir d'en arriver là où nous en étions arrivés, sinon pourquoi aurais-je menti et fait cette omission délibérée sur mon statut ? C'est ce dont m'a en tout cas fait prendre conscience mon confesseur (oui il a du travail avec moi) . Tout ça pour dire que pour elle j'étais donc en vacances à Syracuse.

Aujourd'hui, j'ai ma chevalière à ma main gauche, celle frappée de la croix de l'Ordre et je serre ma main en passant mon pouce dessus pour la sentir et me rappeler mes Vœux. Autour de mon cou, j'ai également cette chaîne en argent avec un crucifix, pour l'instant sous mon pull - mais la moitié de la population locale doit avoir le même genre de bijou, nous sommes à Rome. Donc, cette fois, fort de ma Foi, je secoue la tête négativement "Non pas du tout, je suis ici pour le boulot ! Et toi ? " Je la croyais de Syracuse parce qu'elle m'a dit être sicilienne. C'est peut-être elle qui est ici en vacances cette fois ! Mais quelque chose me souffle que non, sa façon trop naturelle d'évoluer dans ce bar comme si elle le connaissait bien, une maison familière.

De plus près, je m'aperçois qu'elle a le visage abîmé, avec cet hématome mal caché sous du fond de teint. Je hausse légèrement un sourcil. "tu as rencontré une porte de placard ?" Excuse des femmes battues, même si je l'imagine mal dans ce rôle avec sa dégaine de petite loubarde habituée à évoluer dans les bars comme celui-ci. Je crois qu'elle est plutôt du genre à s'être battue parce que quelqu'un lui aura manqué de respect mais en défenseur de la veuve et de l'orphelin, je ne peux pas m'empêcher de demander.

Une sicilienne à Rome. Etonnant. Il y a une telle guéguerre entre les différentes régions que c'en est amusant. Je me souviens à l'Armée que le régiment italien se distinguait lors des soirées par leurs chamailleries incessantes. Ils sont non seulement chauvins, mais aussi terriblement régionalistes. Je crois que c'est à cause de leur passion pour le football ! Ouille, je ne vous conseille pas de vous mettre entre deux italiens soutenant une équipe différente ! Je taquine un peu Antonia "—et tu n'attrapes pas froid si loin au Nord et de ton île ? En tout cas ça ne doit pas être de tout repos, tu dois bien te faire charrier." Je souris, ce n'est qu'une petite boutade. Je lève mon verre pour trinquer avec elle "—au hasard ou à la Main de Dieu"  Moui, le créateur a un drôle de sens de l'humour pour mettre sur mon chemin cette tentation contre laquelle je n'ai pas su résister la première fois ! Bon public, je ris à la plaisanterie d'Antonia avant de m'exclamer "—Tu es boxeuse ? Boxe américaine ?" Je suis surpris et ma question s’enchaîne de suite "—pro ou c'est en amateur ?" Parce que je réalise que j'ai immédiatement pensé boxeuse professionnelle alors qu'il y  a quand même plus de chance qu'elle soit dans un club ou quelque  chose comme ça. J'ai fait du close combat à l'armée, surtout en Israël, les spécialistes du Krav Maga, mais je n'ai jamais fait de la boxe, ni américaine, ni autre... J'ai juste déjà vu quelques match à la télé.

"—Non je viens d'arriver, seulement depuis quelques jours.  J'ai une chambre dans le quartier du Vatican. C'est une belle coïncidence de te trouver là, j'étais sorti prendre l'air un peu et tu sais que les allemands ne résistent pas au plaisir d'une bière. C'est la première fois que je viens à Rome. J'ai à peine eu le temps de visiter les grands classiques. Cette ville est incroyable, impossible de faire un pas sans tomber sur quelque chose d'intéressant, que ce soit un site archéologique, architecturale ou simplement la beauté des lieux. J'ai marché le long du Tibre ce soir, c'est juste superbe." Oui la ville m'enchante et il est clair que je prendrais le temps de la découvrir, comme je prendrais le temps d'en apprendre plus  sur les créatures surnaturelles, raison de ma présence ici. "—Est-ce que tu es en train de te proposer pour me faire découvrir la ville by night?"

Championne de boxe, heureusement que je suis un gentleman, je n'ose pas imaginer comment elle doit rétorquer aux malotrus qui oseraient s'en prendre à elle ou lui manquer de respect. Un large sourire fend mon visage, je ne la connais que peu mais ça va bien avec sa personnalité et son attitude globale, je ne suis donc pas surpris outre mesure. Juste peut-être un peu par cette vindicte à l'égard des hommes, qui lui servent de défouloir. Je n'avais pas senti cette hargne en Sicile, mais le contexte était tout autre, c'est vrai. Vraiment très différent.

Je souris, je ne vais pas contredire une sicilienne sur la beauté des paysages de son pays, je ne suis pas candidat au punch de la boxeuse ! Et elle n'a pas tort en plus, ils ont des côtes magnifiques et des plages à faire rêver, une mer splendide et un ciel bleu agréable pour des vacanciers, ou des chasseurs de relique en mission se faisant passer pour des vacanciers, vous voyez ce que je veux dire. "C'est vrai, ce sont deux ambiances différentes" En toute franchise, j'aime les deux, pour le peu que j'ai vu des deux s'entend ! Elles me semblent aussi différentes que complémentaires.

La proposition de la brune incendiaire me scie par la façon abrupte dont elle est amenée et cela me fait brusquement rougir. Je n'ai pas été franc avec elle la première fois mais je suis obligé de l'être aujourd'hui. J'ai malheureusement des images très claires de nos ébats dans sa Sicile natale, j'en ai encore le souvenir des sensations, ce qui est encore plus difficile. Pour la chasteté en pensée, je peux faire une croix dessus, j'aurais déjà ça à confesser, c'est sur. Je soupire, et secoue la tête d'un air désolé (et ça aussi je devrais le confesser *sic* )"Je suis désolé Antonia, je vais devoir décliner. Avec beaucoup de regrets. C'est que je n'ai pas été très honnête la première fois avec toi" Lâche le morceau David, ou elle va croire que tu es marié ! Je lève ma main, celle avec la chevalière au blason de l'ordre. "Je suis sergent de l'Ordre Teutonique. Moine-Soldat. Moine donc. Je t'ai dit que j'étais ici pour le boulot." Alors ça n'explique pas que la première fois je me sois retrouvé dans son lit mais elle peut aisément imaginer les détails en s'appuyant sur ma gêne et ma rougeur coupable. Nous ne sommes que des hommes après tout. J'ai une moue navrée et un sourire d'excuse. "La chasteté fait partie de notre credo. Je ne suis pas toujours très bon sur le sujet mais tu vois...j'essaye de m'améliorer."

J'acquiesce de la tête à sa question qui n'attend pourtant pas de confirmation, c'est plus de l'incrédulité. Sa remarque me fait à nouveau rougir, je me souviens parfaitement bien de la nuit que nous avons passée ensemble. Ok, ce n'était pas du tout chaste, c'est vrai. C'était il y a plus d'un an et elle a été la dernière que j'ai touché. Son parfum quand elle s'approche de moi me trouble, trop féminin et suave.Son corps s'alanguit un instant contre le mien. Je sens la douce chaleur d'un sein contre ma chemise et sa main dans mes cheveux m'arrache bien malgré moi un frisson. Je dois me faire violence pour ne pas tendre la main et la poser au creux de ses reins. J'ai envie de l'embrasser mais je ne bouge pas, la laissant poser ses lèvres si près de ma bouche que je n'aurais qu'à eu tourner la tête de quelques degrés pour que nos lèvres se rencontrent. Je ne suis vraiment pas un très bon élément pour être si sujet à la tentation et ne pas savoir rester indifférent, fort de ma foi et mon engagement.

Je lui suis reconnaissant de s'éloigner et je lui pardonne volontiers son petit jeu de séduction destiné à mettre à mal mes résolutions et mes vœux. C'est de bonne guerre après tout, une petite pénitence pour mon mensonge. "J'espère que ça restera quand même un bon souvenir. C'en est un pour moi." Bien joué David, autant la suivre chez elle si tu continues à jouer comme ça avec le feu ! Je soupire intérieurement et bois une gorgée de bière avant de répondre à sa question qui au moins m'éloigne d'un jeu dangereux, le jeu des regrets. "A l'origine, mon travail consiste à trouver et ramener les reliques religieuses qui ont été volées, ou portées disparues, c'était la raison de ma présence en Sicile. Mais cette fois, mon ordre m'a envoyé à Rome pour rencontrer une autre branche de l'Eglise. L'Opus Dei, je ne sais pas si tu connais" Je ne lâche pas le nom de façon anodine. Ça m'intéresse de savoir ce que les gens savent et pensent de cet ordre si secret, quelles rumeurs circulent à leur sujet.