Je m’attarde sur une toile… Elle pique ma curiosité dans sa complexe simplicité… Des traits rapides, sec, mêlé à des sillons plus doux. La variation des couleurs révèle une personnalité discrète et sensible… Elle est pure, tellement loin de ce que je suis. Ses couleurs sont claires, vives et se marient entre elle, une véritable communion. Tout ici fusionne dans une symphonie chromatique recherchée et épurée. Bien que loin de ce que je suis, de ce que je mets dans mes propres toiles, celle-ci trouve écho en moi, me fait vibrer.
Dans ma main, la carte de visite que l’on m’a déposé quelques jours plus tôt dans le bar où j’expose. Elle n’est pas la première qu’on me laisse, Il n’est pas la première personne que l’on me conseille. Pourquoi l’ai-je contacté lui ? Je l’ignore moi-même… Le hasard peut-être, ou bien, autre chose. Quelle importance. J’ai donc annoncé ma venue, quand d’autres appellent cela prendre un rendez-vous. Tisiphone Luciano… J’ai d’abord cru que son prénom était Luciano, comme sans doute nombre d’autres avant moi… Peut-être est-ce finalement l’originalité de ce prénom qui a su éveiller ma curiosité. Homme ? Femme ? Avant de le voir, le mystère restera mien. Je range finalement la carte dans mon sac à main…. Je n’en aurai plus besoin ici.
Dans mon autre main, mon press book, contenant les clichés de quelques toiles, quelques appréciations, notes et autres documents nécessaires à notre entrevue. Les retours sur ma petite exposition dans ce bar sont plutôt bons à ce qu’il parait, suffisamment pour qu’on m’est proposé un agent, que je n’ai pas –encore – pris. Gabriele semblait penser que ce serai chose utile, et me proposant sa sœur, j’imaginais que mon travail le valait. Tout cela est nouveau pour moi, loin de mon ancien travail où j’excellais… Mais il semblerait que ma reconversion soit des plus positives finalement.
Je passe à la toile suivante. Mes hauts talons brisent le silence qui s’est installé. Quelques secondes, à peine quelques pas avant qu’il ne revienne prendre sa place. J’ai mis l’une de mes plus jolies
Robe, faisant ressortir les nuances acajou de ma chevelure. Mes boucles légères retombent sur mes épaules, mes cheveux sont détachés, comme à mon habitude, et un maquillage léger intensifie mon regard azur. Je suis nue, éternellement nue sous ma robe. Cette liberté nouvelle me plait, et je ne compte m’en défaire à aucun prix.
Cette nouvelle toile est aussi douce que la précédente, m’entrainant dans de loin pâturages verdoyants. Je m’y perds, m’imaginant allongée dans l’herbe, le soleil caressant ma peau diaphane. Je me sens attirée par cette image, pourtant, je ne vis quand dans les ténèbres, et ce, depuis aussi loin que je m’en souvienne. Mon enfance n’existe plus aujourd’hui à mes yeux. La nuit est devenue mon refuge, et ses créatures ont finalement pris le dessus sur la lumière, m’entrainant avec elle dans ce dédale de noirceur.
Des bruits de pas derrière moi me ramènent à la réalité, mais je ne bouge pas, je reprends simplement connaissance du monde qui m’entoure, quittant cette prairie et sa douce solitude. Mes toiles parviennent elles, elles aussi, à entrainer leur spectateur dans mon univers de mort ?
